Licenciement économique : une nouvelle définition des éléments constitutifs du coemploi est retenue par la Cour de cassation
Le critère de la triple confusion d'intérêts, d'activités et de direction est abandonné par la chambre sociale au profit d'une nouvelle définition du coemploi fondée sur l'immixtion permanente de la société-mère dans la gestion économique et sociale et la perte totale d'autonomie d'action de la filiale.
Par un arrêt du 25 novembre 2020 promis à une très large diffusion et d'ores et déjà consultable sur son site Internet, la Cour de cassation « décide du maintien de la notion de coemploi, dont la question de l'abandon, au profit de la seule responsabilité extra-contractuelle de la société-mère, était soumise à la formation plénière ». Elle « réaffirme cependant le caractère tout à fait exceptionnel du coemploi, en donnant une nouvelle définition de ses élémentsconstitutifs ».
La note explicitant sa décision, également en ligne sur son site, est d'une aide précieuse pour décrypter celle-ci et mieux en comprendre les tenants et les aboutissants. C'est d'autant plus appréciable que la matière est pour le moins complexe (car au confluent de plusieurs branches du droit) et que dans ce domaine, peut-être plus que dans d'autres, les prises de position de la Cour sont particulièrement scrutées à la loupe et donnent lieu à des explications de texte, parfois vives, entre auteurs.
Dans l'affaire soumise aux juges du droit, une cour d'appel avait retenu l'existence d'une situation de coemploi caractérisée, selon elle, par la gestion des ressources humaines au moment de la cessation de l'activité, le financement de la procédure de licenciement pour motif économique, des conventions de trésorerie et d'assistance moyennant rémunération, la prise de décisions commerciales et sociales dans l'exercice de la présidence de la société et des reprises d'actifs dans des conditions désavantageuses pour la filiale. Autant d'éléments qui, pour la Cour de cassation, n'étaient pas de nature à établir que la société-mère agissait véritablement de façon permanente en lieu et place de sa filiale, de sorte que celle-ci aurait totalement perdu son autonomie d'action. Les motifs de l'arrêt attaqué ont dès lors été censurés.
• Immixtion permanente anormale de la société-mère. - La Cour a décidé que : « hors l'existence d'un lien de subordination, une société faisant partie d'un groupe ne peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre que s'il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière ». Ainsi, désormais, c'est la perte d'autonomie d'action de la filiale, qui ne dispose pas du pouvoir réel de conduire ses affaires dans le domaine de la gestion économique et sociale, qui est déterminante dans la caractérisation d'une immixtion permanente anormale de la société-mère, constitutive d'un coemploi, « justifiant alors que le principe d'indépendance juridique des personnes morales soit exceptionnellement neutralisé ».
Le spécialiste du mécanisme du coemploi percevra là l'évolution à l'œuvre : tout en maintenant la notion de coemploi, la Cour adopte une nouvelle définition de celle-ci, recentrée sur la caractérisation de la situation objective de la société employeur ; les éléments constitutifs du co-emploi ont été affinés.
Comme elle l'explique dans la note adossée à l'arrêt, cette mue est une réponse « au contentieux soumis au cours des quatre dernières années à la chambre sociale » qui témoigne « de la difficulté persistante des juges du fond à appréhender les critères définis par [elle] et, dès lors, à caractériser l'existence ou non d'une situation de coemploi ». Il est apparu nécessaire à la Cour, eu égard à l'évolution de ce contentieux, de préciser les critères applicables en la matière. Exit celui de la triple confusion d'intérêts, d'activités et de direction issu de la jurisprudence Molex (
Une page semble être tournée alors que, depuis l'arrêt Molex de 2014, la chambre sociale s'était employée à circonscrire les indices permettant de caractériser l'immixtion de la société mère dans la gestion économique et sociale de la filiale. « L'impératif de sécurité juridique », de même que les difficultés récurrentes des juges à s'inscrire dans la ligne tracée par la Cour de cassation, ont conduit celle-ci a finalement revoir sa copie, afin de rendre la recherche et la reconnaissance d'un coemployeur plus aisée, en précisant les critères applicables en la matière.