accordion-iconalert-iconarrow-leftarrowarticleShowedbacktotopCreated with Sketch. bookmarkcall-iconcheckchecked-iconclockclose-grcloseconnexion-iconfb-col fb-footer-iconfb-iconfb feedMark__icon--radiofeedMark__icon--starPage 1Created with Avocode.filterAccordion-arrowgoo-col headerBtn__icon--connecthomeinfo-blueinfo insta-1 instalank2IconCreated with Avocode.lglasslink-2linklink_biglinkedin-footer-iconlinkedin-iconlinkedin Svg Vector Icons : http://www.onlinewebfonts.com/icon lock-bluelockmail-bluemail-iconmailnot_validoffpagenavi-next-iconpdf-download-iconplus print-iconreadLaterFlagrelatedshare-icontagsLink-icontop-pagetw-col tw-footer-icontw-icontwitter unk-col user-blueuseruserName__icon--usernamevalidyoutube-footer-iconyoutube Svg Vector Icons : http://www.onlinewebfonts.com/icon
Offert

Reconnaissance du harcèlement moral institutionnel par la Cour de cassation

Jurisprudence

Par un arrêt rendu le 21 janvier 2025, la Cour de cassation consacre, pour la première fois, la notion de « harcèlement moral institutionnel » au travail. Désormais, les dirigeants d'une société peuvent être sanctionnés pénalement pour avoir déployé, en connaissance de cause, une politique d'entreprise conduisant à la dégradation des conditions de travail des salariés.

En l'espèce, à compter de 2006, le président-directeur général et plusieurs cadres dirigeants d'une grande société ont mis en place une politique d'entreprise qui a touché un quart de leurs salariés et agents, dont un plan de réduction d'effectifs visant 22 000 personnes. Un syndicat a déposé plainte, en décembre 2009, dénonçant les conditions dans lesquelles ce plan a été mis en œuvre. La société et ses principaux dirigeants ont été poursuivis pour harcèlement moral au travail. Il leur est notamment reproché d'avoir, entre 2007 et 2010, harcelé 39 salariés en déployant une politique visant à déstabiliser le personnel et à créer un climat professionnel anxiogène - réorganisations multiples et désordonnées, incitations répétées au départ, surcharge de travail, contrôle excessif et intrusif, manœuvres d'intimidation, etc.

La cour d'appel a déclaré les prévenus coupables de « harcèlement moral institutionnel » ou de complicité de ce délit. Elle a défini cette notion comme des agissements, qui s'inscrivent dans une politique d'entreprise ayant pour but de structurer le travail de tout ou partie d'une collectivité d'agents, porteurs, par leur répétition, d'une dégradation, potentielle ou effective, des conditions de travail de cette collectivité et outrepassant les limites du pouvoir de direction.

Les dirigeants ont formé un pourvoi en cassation. Il s'agissait, pour le juge du droit, de déterminer si le harcèlement moral institutionnel ainsi défini entre dans les prévisions de l'article 222-33-2 du Code pénal.

Après avoir rappelé le principe de légalité des délits et des peines qui impose l'interprétation stricte de la loi pénale (par ex., Cass. crim., 25 juin 2002, n° 00-81.359), la Cour de cassation précise dans son arrêt qu'il se déduit de cette exigence que, si le juge ne peut appliquer, par voie d'analogie ou par induction, la loi pénale à un comportement qu'elle ne vise pas, il peut, en cas d'incertitude sur la portée d'un texte pénal, la rechercher en considérant les raisons qui ont présidé à son adoption (V.  Cass. crim., 5 sept. 2023, n° 22-85.540).

L'article 222-33-2 du Code pénal, dans sa version applicable aux faits de l'espèce, issue de la loi de modernisation sociale de 2002 (L. n° 2002-73, 17 janv. 2002), incrimine « le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». Ainsi, si la caractérisation des agissements ayant pour effet une dégradation des conditions de travail suppose que soient précisément identifiées les victimes de telles pratiques, ce n'est pas le cas lorsque les agissements harcelants ont pour objet une telle dégradation. Dans cette seconde hypothèse, la caractérisation de l'infraction n'exige pas que les agissements reprochés à leur auteur concernent un ou plusieurs salariés en relation directe avec lui ni que les salariés victimes soient individuellement désignés, puisque le caractère formel de l'infraction n'implique pas la constatation d'une dégradation effective des conditions de travail. Par ailleurs, le terme « autrui » peut désigner, en l'absence de toute autre précision, un collectif de salariés.

Cette interprétation est conforme à la portée que le législateur a souhaité donner à cette incrimination et la chambre criminelle cite, pour appuyer cette affirmation, deux avis qui ont été pris en compte par les travaux préparatoires à la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 précitée. D'une part, l'avis de la Commission nationale consultative des droits de l'homme du 29 juin 2000 consacré au harcèlement moral au travail a identifié 3 formes possibles de harcèlement moral parmi lesquelles « le harcèlement institutionnel qui participe d'une stratégie de gestion de l'ensemble du personnel ».

D'autre part, le Conseil économique et social a, dans un avis du 11 avril 2001, distingué « le harcèlement essentiellement individuel ou d'un petit groupe » du harcèlement « collectif, professionnel ou institutionnel, qui s'inscrit alors dans une véritable stratégie du management pour imposer de nouvelles règles de fonctionnement, de nouvelles missions ou de nouvelles rentabilités », en précisant que « le harcèlement moral pourra alors se développer au moment de restructurations, de fusions-absorptions des entreprises privées ou de changement d'orientation managériale » (Conseil économique et social, avis, 11 avr. 2001, p. 52). Le Conseil a également proposé d'intégrer dans la définition de l'infraction le terme « une ou plusieurs victimes » en soulignant que si le harcèlement moral au travail atteint le plus souvent une seule personne, le processus peut également viser plusieurs victimes : « C'est alors souvent le cas d'une stratégie globale pour imposer de nouvelles méthodes de management, pour obtenir la démission de personnels dont les caractéristiques (…) ne correspondent pas aux "besoins" de l'entreprise. » (même avis, p. 59 et 60).

Il résulte des travaux préparatoires que le législateur a souhaité adopter la définition la plus large et consensuelle possible de l'infraction de harcèlement moral au travail, s'inspirant très largement de l'avis du Conseil et tenant compte de son caractère protéiforme et complexe (rapport à la commission des affaires sociales du Sénat, n° 275, 18 avr. 2001, MM. Claude Huriet, Bernard Seillier, Alain Gournac et Mme Annick Bocandé). L'élément légal de l'infraction n'exige donc pas que les agissements répétés s'exercent à l'égard d'une victime déterminée ou dans le cadre de relations interpersonnelles entre les auteurs et les victimes, dès lors que ces dernières font partie de la même communauté de travail et ont été susceptibles de subir ou ont subi les conséquences visées à l'article 222-33-2 du Code pénal.

Ainsi, les agissements visant à mettre en œuvre, en connaissance de cause, une politique d'entreprise ayant pour objet ou pour effet de dégrader les conditions de travail des salariés afin de parvenir à une réduction des effectifs ou d'atteindre tout autre objectif - qu'il soit managérial, économique ou financier - entrent bien dans les prévisions de l'article 222-33-2, tel qu'il résulte de la loi du 27 janvier 2002 précitée.

La Cour de cassation confirme la condamnation des prévenus, la cour d'appel ayant établi par des motifs suffisants l'existence de tels agissements de leur part.

Enfin, la Cour souligne que l'application de l'incrimination à cette affaire - qui constitue une situation nouvelle - n'était pas imprévisible au sens de l'article 7 de la Convention EDH, d'autant plus pour des professionnels pouvant bénéficier des conseils éclairés de juristes.