Reconnaissance du harcèlement moral institutionnel par la Cour de cassation
Par un
En l'espèce, à compter de 2006, le président-directeur général et plusieurs cadres dirigeants d'une grande société ont mis en place une politique d'entreprise qui a touché un quart de leurs salariés et agents, dont un plan de réduction d'effectifs visant 22 000 personnes. Un syndicat a déposé plainte, en décembre 2009, dénonçant les conditions dans lesquelles ce plan a été mis en œuvre. La société et ses principaux dirigeants ont été poursuivis pour harcèlement moral au travail. Il leur est notamment reproché d'avoir, entre 2007 et 2010, harcelé 39 salariés en déployant une politique visant à déstabiliser le personnel et à créer un climat professionnel anxiogène - réorganisations multiples et désordonnées, incitations répétées au départ, surcharge de travail, contrôle excessif et intrusif, manœuvres d'intimidation, etc.
La cour d'appel a déclaré les prévenus coupables de « harcèlement moral institutionnel » ou de complicité de ce délit. Elle a défini cette notion comme des agissements, qui s'inscrivent dans une politique d'entreprise ayant pour but de structurer le travail de tout ou partie d'une collectivité d'agents, porteurs, par leur répétition, d'une dégradation, potentielle ou effective, des conditions de travail de cette collectivité et outrepassant les limites du pouvoir de direction.
Les dirigeants ont formé un pourvoi en cassation. Il s'agissait, pour le juge du droit, de déterminer si le harcèlement moral institutionnel ainsi défini entre dans les prévisions de l'.
Après avoir rappelé le principe de légalité des délits et des peines qui impose l'interprétation stricte de la loi pénale (par ex.,
L', dans sa version applicable aux faits de l'espèce, issue de la
Cette interprétation est conforme à la portée que le législateur a souhaité donner à cette incrimination et la chambre criminelle cite, pour appuyer cette affirmation, deux avis qui ont été pris en compte par les travaux préparatoires à la
D'autre part, le Conseil économique et social a, dans un
Il résulte des travaux préparatoires que le législateur a souhaité adopter la définition la plus large et consensuelle possible de l'infraction de harcèlement moral au travail, s'inspirant très largement de l'avis du Conseil et tenant compte de son caractère protéiforme et complexe (rapport à la commission des affaires sociales du Sénat, n° 275, 18 avr. 2001, MM. Claude Huriet, Bernard Seillier, Alain Gournac et Mme Annick Bocandé). L'élément légal de l'infraction n'exige donc pas que les agissements répétés s'exercent à l'égard d'une victime déterminée ou dans le cadre de relations interpersonnelles entre les auteurs et les victimes, dès lors que ces dernières font partie de la même communauté de travail et ont été susceptibles de subir ou ont subi les conséquences visées à l'.
Ainsi, les agissements visant à mettre en œuvre, en connaissance de cause, une politique d'entreprise ayant pour objet ou pour effet de dégrader les conditions de travail des salariés afin de parvenir à une réduction des effectifs ou d'atteindre tout autre objectif - qu'il soit managérial, économique ou financier - entrent bien dans les prévisions de l'article 222-33-2, tel qu'il résulte de la
La Cour de cassation confirme la condamnation des prévenus, la cour d'appel ayant établi par des motifs suffisants l'existence de tels agissements de leur part.
Enfin, la Cour souligne que l'application de l'incrimination à cette affaire - qui constitue une situation nouvelle - n'était pas imprévisible au sens de l'article 7 de la Convention EDH, d'autant plus pour des professionnels pouvant bénéficier des conseils éclairés de juristes.