La Cour des comptes juge « préoccupantes » les perspectives financières projetées à l'horizon 2045 pour les retraites
À la suite de son discours de politique générale devant l'Assemblée nationale le 14 janvier dernier, le Premier ministre, François Bayrou, a demandé à la Cour des comptes de réaliser une « mission flash » sur la situation financière et les perspectives du système de retraites, avec un rapport à rendre le 20 février devant servir de base aux partenaires sociaux pour proposer des solutions en vue d'améliorer le système de retraites, en recherchant la justice et l'équilibre financier.
Ce document a bien été publié aujourd'hui, 20 février. Syndicats et patronat ont maintenant trois mois pour trouver un accord. En cas d'échec, la dernière réforme des retraites (dite Borne), tant décriée, continuera de s'appliquer.
Ce rapport des magistrats financiers, destiné principalement aux partenaires sociaux, vise à offrir une vision claire et objective de la situation des retraites, basée sur des constats et des chiffres précis. Quels sont-ils ? :
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en 2023, le système de retraites était légèrement excédentaire, avec un surplus de 8,5 Md€, malgré des situations financières hétérogènes selon les régimes. La Cour des comptes avance deux explications : l'équilibre financier, qui s'était dégradé de 2002 à 2010, s'est progressivement rétabli grâce à plusieurs réformes depuis 2003, qui ont retardé l'âge de départ à la retraite de 2 ans et 2 mois entre 2010 et 2023. Par ailleurs, l'accélération de l'inflation a temporairement amélioré la situation financière de 4 Md€ en 2023, mais cette amélioration est compensée par une dégradation prévue en 2024 ;
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Les six groupes de régimes de retraites identifiés par la Cour présentent des situations financières très différentes. Le régime général et celui des salariés agricoles sont en situation financière précaire et représentent le principal enjeu pour l'équilibre financier global. Bien que leur déficit et celui du fonds de solidarité vieillesse (FSV) soit faible en 2023 (0,2 Md€), il devrait augmenter dès 2024. La caisse de retraite des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers est déjà en situation critique, avec un déficit de 2,5 Md€ en 2023. En revanche, d'autres régimes, comme ceux des professions libérales, des avocats et les régimes complémentaires obligatoires, sont en meilleure situation financière, avec un excédent total de 9,9 Md€ en 2023.
Ainsi, si l'on devait résumer, en 2023, le système de retraites est légèrement excédentaire mais avec des situations hétérogènes selon les régimes. Qu'en sera-t-il demain ? La Cour des comptes prédit une nette dégradation de la situation financière en cours et à l'horizon 2045, malgré la réforme de 2023 :
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dès 2025, le déficit global des régimes de retraite devrait atteindre 6,6 Md€ et se maintenir à ce niveau jusqu'en 2030, grâce à la montée en puissance de la réforme de 2023. Cependant, le déficit devrait ensuite augmenter continuellement pour atteindre près de 15 Md€ en 2035 et environ 30 Md€ en 2045 (hors inflation) ;
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La Cour a également analysé les effets des réformes récentes, notamment celle de 2023, qui devraient permettre de retarder l'âge réel de départ à la retraite, réduisant ainsi le nombre de retraités et améliorant l'équilibre du système. Les effets de la réforme de 2023 sur l'équilibre financier du système de retraites ont été estimés à environ 10 Md€ d'ici 2030, avant de diminuer. Sans cette réforme, les déficits futurs seraient encore plus importants. La réforme de 2023 devrait également avoir un effet positif sur les recettes des autres administrations publiques, mais cet effet diminuera avec le temps ;
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enfin, la durée moyenne passée à la retraite, après une phase de diminution, redeviendrait équivalente à celle d'avant la réforme grâce à l'augmentation de l'espérance de vie. En 2045, le montant des pensions et les conditions de vie des retraités devraient être meilleurs (hors inflation) qu'en 2023, bien que l'écart avec les revenus des actifs continue de croître.
Partant du principe que la solidarité intergénérationnelle d'un système de retraite par répartition nécessite de garantir son équilibre financier à long terme, la Cour des comptes a examiné les principaux leviers de réforme disponibles pour les pouvoirs publics et leurs effets sur l'équilibre financier du système de retraites. Quatre leviers principaux ont été analysés : l'âge d'ouverture des droits, la durée d'assurance requise, le taux de cotisation et l'indexation des pensions. L'âge d'ouverture des droits, déjà : avancer l'âge d'ouverture des droits d'un an (63 ans au lieu de 64) entraînerait une dépense supplémentaire de 5,8 Md€ en 2035, alors que retarder cet âge d'un an (65 ans au lieu de 64) permettrait d'économiser jusqu'à 8,4 Md€. La durée d'assurance requise, ensuite : réduire la durée d'assurance requise d'un an (42 ans au lieu de 43) coûterait 3,9 Md€ en 2035, quand augmenter cette durée d'un an (44 ans au lieu de 43) rapporterait 5,2 Md€. Quid du taux de cotisation ? : une augmentation d'un point du taux de cotisation générerait des recettes supplémentaires comprises entre 4,8 et 7,6 Md€, selon les modalités retenues. Enfin, une sous-indexation d'un point des pensions, basée sur les dépenses de retraites prévues en 2025, représenterait une économie de 2,9 Md€ cette même année. Ces différentes variations montrent comment ajuster ces leviers peut avoir un impact direct et significatif sur l'équilibre financier du système de retraites à l'horizon 2035.
En conclusion :
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les perspectives financières des retraites à l'horizon 2045 sont préoccupantes. Après une période de stabilisation du déficit hors inflation autour de 5 Md€ jusqu'en 2030, les effets positifs de la réforme de 2023 devraient s'affaiblir. Le déficit global devrait alors se dégrader nettement, atteignant environ 15 Md€ en 2035 et 30 Md€ en 2045. Deux régimes seraient particulièrement touchés : le régime général et celui des agents de la fonction publique locale et hospitalière. Ni une augmentation de la productivité du travail (1 % par an au lieu de 0,7 %) ni une réduction du taux de chômage à 5 % (au lieu de 7 %) ne suffiraient à réduire significativement les efforts nécessaires pour revenir à l'équilibre. L'accumulation de ces déficits entraînerait une augmentation de la dette, atteignant 350 Md€ pour le régime général et 120 Md€ pour le régime des agents de la fonction publique locale et hospitalière en 2045. Cette situation compromettrait la trajectoire des finances publiques et irait à l'encontre du principe de répartition, qui suppose que chaque génération d'actifs finance les pensions des retraités contemporains, sans reporter une partie de ce financement sur les générations futures ;
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néanmoins, la projection financière des retraites met en évidence plusieurs points positifs. Tout d'abord, le système de retraites resterait protecteur pour les retraités. Bien que les pensions augmenteraient moins rapidement que les revenus des actifs, leur montant moyen continuerait à évoluer favorablement, hors inflation. Comparés aux autres pays de l'OCDE, les retraités en France resteraient donc dans une situation relativement plus favorable tout au long de la période. Ensuite, la durée de la retraite ne diminuerait pas par rapport à la situation actuelle, malgré le recul de l'âge de départ en retraite lié à la réforme de 2023. L'âge de départ plus tardif serait compensé par une augmentation équivalente de l'espérance de vie. De plus, seuls deux régimes seraient en difficulté : le régime général et celui des agents de la fonction publique locale et hospitalière. Les régimes des non-salariés resteraient dans une situation favorable. Pour les régimes complémentaires, leur excédent tendanciel devrait remonter après une période proche de l'équilibre jusqu'en 2030, offrant ainsi des marges de manœuvre aux partenaires sociaux. Enfin, la contribution de l'État pour financer les retraites de la fonction publique d'État et les régimes spéciaux devrait rester stable, hors inflation, ce qui réduirait son poids dans le PIB. Cela suppose toutefois que les hypothèses strictes concernant l'évolution du nombre de fonctionnaires et de leurs traitements soient respectées ;
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pour préserver les aspects positifs du système de retraites et rétablir son équilibre financier, les partenaires sociaux et l'État disposent de plusieurs leviers. Ces leviers ont des effets financiers variés et impactent différemment l'âge effectif de départ à la retraite ainsi que le niveau de vie des actifs et des retraités. Le pilotage à long terme du système de retraites nécessite une combinaison de ces différents leviers pour mettre en œuvre un effort équilibré, partagé par tous les acteurs. L'objectif est de garantir des moyens d'existence suffisants et sécurisés à tous les retraités après leur vie professionnelle. La Cour des comptes ne propose pas de solutions détaillées pour atteindre cet équilibre, mais elle fournit aux partenaires sociaux et à tous les acteurs concernés les données nécessaires pour comprendre les enjeux et les principaux outils d'action.